Le procès en cours intenté par l’équipe féminine des États-Unis contre la Fédération Américaine de Football réclamant une égalité salariale par rapport à leurs consorts masculins, a récemment pris un tournant. Les avocats de la fédération ont publié un document contenant des arguments agressifs et à la limite de la misogynie et du sexisme. Les critiques qui ont suivi de la part des médias et des sponsors ont forcé le président, Carlos Cordeiro, à démissionner.
C’était lors de la Journée Internationale de la Femme en 2019 que tout a commencé. 28 joueuses de l’Équipe Féminine des Etats-Unis (United States Women’s National Team, USWNT) ont décidé de partir en guerre contre leur Fédération (United States Soccer Federation, USSF), combattre la discrimination institutionnelle liée au genre dont elles sont victimes, et réclamer un salaire égal par rapport à celui versé à leur consorts masculins. En deux mots : “Equal Pay”. Plus d’un an (et une Coupe du monde) plus tard, un document officiel a été transmis au juge par la Fédération contenant ses arguments visant à prouver que le procès n’a pas lieu d’être.
Que contient ce document ?
La deuxième partie du document est la plus intéressante. Elle a pour objectif de prouver que « les plaignantes n’ont pas établi une violation de l’Equal Pay Act (EPA) », selon lequel « les salaires ne peuvent pas être délivrés à des taux inférieurs à ceux accordés à des employés du sexe opposé. » Pour pouvoir prétendre à un salaire égal aux termes de l’EPA, il est nécessaire de prouver que « le travail réalisé soit égal, qu’il requiert le même niveau de capacités, efforts et responsabilités, et soit exercé dans les mêmes conditions. » Les personnes doivent également travailler au sein du même « établissement ».
A chacune de ces conditions, la Fédération a répondu de manière assez agressive et directe. Notamment dans le point C de la Partie II du document. « L’équipe féminine et l’équipe masculine ne réalisent pas un travail égal qui nécessite des compétences, efforts et responsabilités égaux, exercés dans les mêmes conditions. »
Tout d’abord, il faut savoir qu’en Anglais, le mot « compétences » se dit « skills », ce qui, ironiquement, veut également dire « talent », et donc à utiliser prudemment (surtout dans le monde du sport). Le document précise que « les compétences (« skills ») nécessaires pour jouer dans l’équipe masculine sont influencées par le niveau d’attributs physiques tels que la vitesse et la force, indispensables à cette profession. » La Fédération estime que cela est justifié de payer les femmes moins que les hommes étant donné les différences physiques qui existent entre les femmes et les hommes, comme « la structure du squelette, la composition musculaire, les capacités cardiaques et pulmonaires » ou même « la capacité à éliminer et transformer les glucides. » La Fédération a pris la peine de rajouter dans son argumentation que, bien sûr, cela n’est pas « un stéréotype sexiste » mais tout simplement « des faits scientifiques ». Les avocats se sont basés entièrement sur une étude nommée « Sex in Sport » de 2017 menée par Doriane Lambelet Coleman.
Ensuite, pour démontrer que le travail réalisé n’implique pas de responsabilités égales et n’est pas exercé dans les mêmes conditions, la Fédération a été encore plus créative. L’USSF précise que « l’hostilité des fans rencontrée par l’équipe masculine en déplacements, notamment au Mexique ou en Amérique Centrale, est incomparable à ce à quoi l’équipe féminine doit faire face. » A cela, la Fédération ajoute que devoir jouer pour se qualifier à des compétitions rapportant plus d’argent (comme la Coupe du monde masculine) provoque une « pression supérieure pour les hommes ».
Ces arguments sont-ils corrects ?
En essayant d’ignorer la formulation plus que maladroite utilisée par les avocats, qui frôle la misogynie et le sexisme (sans parler du fait que le document se plaint de devoir « continuer à reverser 75% du salaire de 100.000$ annuel à Alex Morgan malgré le fait qu’elle ne joue pas en ce moment parce qu’elle est enceinte, (…) et aucun joueur de l’équipe masculine n’a le droit à un traitement similaire. »), de nombreux de leurs arguments peuvent facilement être contrés.
A titre d’exemple, on peut lire : « l’équipe féminine demande à la Fédération de payer aux joueuses de l’équipe ayant participé à la Coupe du monde 2019 près de 80.000$ chacune en tant que compensation additionnelle. » La réponse de l’USSF : « Aucun paiement similaire n’est présent dans le contrat de l’équipe masculine. » C’est-à-dire que la Fédération estime donc, au contraire, qu’en donnant une compensation supérieure aux femmes par rapport aux hommes, cela irait à l’encontre de l’Equal Pay Act. Le seul bémol de cet argument, c’est que les femmes ont tout simplement gagné la Coupe du monde 2019. Elles ont donc, par définition, délivré un travail supérieur à celui de l’équipe masculine qui ne s’est pas qualifiée au Mondial 2018 et a été éliminée au stade des 8ème de finales en 2014. L’USWNT mérite en ce sens un salaire qui ne soit pas égal à celui des hommes, mais bien supérieur au regard de la quantité et de la qualité de travail fourni.
Autre exemple, la façon dont les chiffres sont utilisés dans le document : « Le nombre de spectateurs moyen pour les matches de l’équipe masculine (…) est presque 3 fois supérieur à celui de l’équipe féminine, hors Coupe du monde féminine. » C’est assez pratique d’exclure les audiences du Mondial féminin, mais de conserver celles de la Coupe du monde masculine pour effectuer la comparaison… D’autant plus que les chiffres officiels de FOX Sports, diffuseur du Mondial aux États-Unis, ont révélé que la finale remportée par l’USWNT l’été dernier contre les Pays-Bas a attiré 20% de spectateurs de plus que la finale de la Coupe du monde masculine de 2018. Et surtout que quelques mois plus tôt, la Fédération s’était tirée une balle dans le pied en publiant les revenus réalisés grâce à l’équipe féminine de 2015 à 2019, qui se sont avérés être supérieurs à ceux de l’équipe masculine au total sur toute cette même période de 3 ans.
Concernant maintenant le fait que les hommes s’aventurent dans des territoires hostiles pour jouer des matches dangereux face à des foules enragées d’hooligans mexicains, l’argument de conditions de travail et de responsabilités plus élevées ne tient pas non plus. Quand l’équipe masculine participe à la Coupe du monde, en toute objectivité, les autres nations n’y voient aucune menace. La preuve, l’équipe n’était même pas de la partie en Russie il y a 2 ans. A l’inverse, quand la sélection féminine participe à la Coupe du monde ou aux Jeux Olympiques, elle devient par défaut l’équipe à abattre à tout prix. N’est-ce pas une “pression” suffisante aux yeux de la Fédération que de jouer avec une cible dans le dos ? Cette hostilité, elle ne la vivent pas seulement face au Mexique ou aux pays d’Amérique du Sud, mais face à tout le monde. Et les Américains eux-mêmes en rajoutent une couche : elles sont critiquées à la moindre faiblesse parce que tout le monde s’attend, bien sûr, à ce qu’elles gagnent tout le temps (contrairement à l’équipe masculine). Elles sont aussi critiquées quand elles “gagnent trop” comme après leur victoire 13-0 face à la Thaïlande. Pour couronner le tout, elles jouent avec un poids supplémentaire sur les épaules en tant que femmes, forcées de devoir prouver constamment qu’elles ont, justement, les “capacités” suffisantes pour pratiquer un “sport d’hommes.” Elles jouent aussi en défendant une cause profonde et sociale qui va au delà du sport.
Mais ce qui aura discrédité complètement les propos des avocats de l’USSF est venu de l’auteure de l’étude “Sex in Sport” largement citée dans le document. Dans un article rédigé pour le Washington Post, Doriane Lambelet Coleman a voulu elle-même mettre les choses au clair sur ses intentions au moment de la réalisation de son étude qui, selon ses propres mots, a été “mal utilisée par la Fédération”. En résumé, l’auteure affirme que le but de son papier était de présenter les différences physiques naturelles entre les hommes et les femmes dans la pratique du sport, pour montrer au contraire, combien les femmes avaient plus de mérite à réaliser une activité qui allait, scientifiquement, à l’encontre de leurs capacités naturelles. D’un point de vue physionomique, le sport est en effet une activité naturelle pour l’homme, alors que les femmes doivent se surpasser et « déjouer la science » pour en faire leur métier.
Quelles ont été les répercussions ?
Doriane Lambelet Coleman n’a pas été la seule personne à avoir été offusquée par les propos de l’USSF. De nombreuses personnalités se sont exprimées, à commencer par les joueuses elles-mêmes. Recevant l’information de la parution du document quelques heures avant leur match de la She Believes Cup contre le Japon, l’équipe entière a décidé de s’échauffer puis de se présenter lors de l’hymne nationale avec leur maillot d’entrainement porté à l’envers. En signe de protestation, elles ont ainsi refusé d’afficher le logo de leur fédération, mais leurs 4 étoiles, symboles de leurs victoires en Coupe du monde, étaient elles bien visibles.
Les sponsors de la Fédération ont aussi fait monter le ton. Coca-Cola, Visa, Volkswagen ou Budweiser, entre autres, se sont exprimés via des communiqués officiels pour condamner les propos tenus par l’USSF. Les mots « déçus », « dégoutés » ou « offensés » se sont fait écho. Résultat de ces retombées médiatiques, malgré avoir présenté publiquement ses excuses, le président de la Fédération Carlos Cordeiro a finalement été poussé vers la porte de sortie. Il a dans la foulée été remplacé par… une femme : Cindy Parlow Cone. L’ancienne vice-présidente (qui n’avait plus tweeté depuis 2018) a fait part de son avis sur le document en question : « Je suis blessée et attristée par le document envoyé par l’USSF. Ce sujet est important à mes yeux (…). Je désavoue son contenu et continuerai à travailler pour forger un meilleur avenir. » Sa première décision à son nouveau poste a été de changer de stratégie juridique adoptée jusque-là vis à vis du procès en cours, et de rétracter l’ancienne argumentation largement controversée.
Le procès est normalement prévu pour le 5 mai prochain. A moins que, d’ici là, Cindy Parlow Cone décide d’ouvrir enfin le dialogue avec les joueuses pour trouver un arrangement.