Megan Rapinoe, Alex Morgan et Rose Lavelle sont les noms qui raisonneront toujours lorsqu’on évoquera la victoire des USA en Coupe du monde 2019. Celui de Julie Ertz a tout autant d’importance.
Les choix de Jill Ellis sont souvent incompréhensibles. Même pour les experts. La sélectionneuse de l’USWNT a cette fâcheuse habitude de replacer des joueuses à des postes qui ne sont pas les leurs. Si certains choix sont incompréhensibles, d’autres peuvent parfois être gagnants, comme celui concernant Julie Ertz.
La numéro 8 évoluant à Chicago avait été l’un des éléments principaux dans la conquête du troisième titre mondial des Etats-Unis en 2015. Celle qui portait à l’époque encore son nom de jeune fille, Johnston, était l’inamovible défenseure centrale dans la charnière qu’elle composait avec Becky Sauerbrunn. Si les championnes du monde en titre sont restées près de 540 minutes sans encaisser le moindre but, c’était certes grâce à la talentueuse Hope Solo dans les cages, mais aussi grâce à Ertz. Sa solidité et son application défensive était telles, que les médias ne parlaient presque pas d’elle, ce qui en soit, est positif pour un défenseur.
L’année 2017 a été un tournant dans sa vie. D’un point de vue personnel, elle a été rythmée par son mariage avec Zach Ertz, le célèbre joueur de football américain des Philadelphia Eagles (champion du Super Bowl 2018). Mais c’est surtout l’année durant laquelle elle a été élue meilleure joueuse américaine. 2017 n’a pourtant vraiment pas débuté de la meilleure des manières. Son temps de jeu a été considérablement réduit. Elle n’a été titulaire qu’une seule fois en défense centrale lors de la She Believes Cup, foulant la pelouse 13 minutes au total durant les matches amicaux qui ont suivis en juin (c.f. graphique ci-dessous). A cette époque, Jill Ellis a d’abord testé une défense à 3, avant d’essayer de trouver un autre binôme à la charnière qu’elle formait avec Becky Sauerbrunn, laissant la joueuse des Chicago Red Stars sur le banc de touche. “C’était assez bouleversant pour moi comme situation à cette époque” a-t-elle avoué dans le mini portrait vidéo nommé The Journey réalisé par la fédération américaine avant la Coupe du monde. “Mais ca m’a surtout donné du temps pour travailler mon mental et me reconcentrer sur mes motivations.”
Son travail a finalement payé durant le Tournoi des Nations qui a suivi en juillet. “Je ne m’attendais vraiment pas à jouer dans un rôle de numéro 6 avec l’équipe nationale. Pas du tout. On m’a juste demandé de le faire. Et vu que tout ce que je voulais c’était être sur le terrain, je ne me suis pas posée de questions.” C’est face au Japon que Julie Ertz a été titularisée pour la première fois au milieu de terrain (à un poste qu’elle occupait déjà souvent avec Chicago). Les matches suivants ont été une pure réussite et consécration pour elle : durant les 8 dernières rencontres de l’année 2017, elle a inscrit 6 buts (avec notamment un doublé contre la Nouvelle Zélande, 3-1). Des prestations à chaque fois quasi-parfaites qui lui ont valu le titre mérité de “US Soccer Female Player of the Year”.
Jill Ellis avait donc trouvé sa charnière type (Sauerbrunn – Dahlkemper) avec en prime une nouvelle Julie Ertz en numéro 6 pour renforcer le milieu de terrain grâce à ses capacités physiques et son endurance impressionnantes. La sélectionneuse américaine disposait aussi d’une nouvelle arme dont elle ignorait l’existence jusqu’à présent : les reprises au premier poteau sur coups de pied arrêtés. Ertz a marqué 10 de ses 19 réalisations avec l’USWNT en reprenant des corners ou coup francs (c.f. infographie ci-dessous). C’est d’ailleurs à cela que ressemblait son tout premier but en Coupe du monde face au Chili (3-0) cet été. Elle a même failli récidiver en finale contre les Pays-Bas à la 27ème minute. Défensivement, elle se replace très rapidement et fait toujours preuve d’abnégation, très généreuse dans les efforts. Offensivement, le plus qu’elle apporte aux Etats-Unis est sa vision du jeu, mais aussi sa capacité à reprendre efficacement les ballons dans les airs. Absolument tous ses buts inscrits en sélection (sauf sa frappe contre le Mexique en 2018, victoire 6-0) étaient soit des reprises de la tête soit des reprises de volée.

(Visuel : JT – Chiffres : Soccerway, juillet 2019)
La stratégie Julie en Coupe du monde
Du haut de ses 88 sélections et riche de ses expériences à ces deux postes, Ertz est surtout devenue la pièce maîtresse de la stratégie américaine durant la compétition. C’était l’élément clé que Jill Ellis parvenait à replacer au bon moment pour à la fois déséquilibrer les adversaires, et équilibrer sa propre équipe en même temps. Le jeu d’Alex Morgan et les siennes était assez stéréotypé : priorité aux attaques rapides et à répétition jusqu’à l’ouverture du score (dans les 15 premières minutes de chacune de leurs rencontres, sauf durant la finale), avant de prendre le dessus et de pouvoir basculer vers un schéma plus défensif. Ce changement s’est fait à chaque fois (durant les matches à élimination directe) par le biais du replacement de Julie Ertz. Elle débutait souvent les rencontres avec un rôle de récupérateur plus offensif au milieu, menant les attaques et se procurant parfois même plusieurs occasions. Puis elle les terminait en redescendant en défense centrale pour combler les espaces. En d’autres termes, c’est le passage d’un 4-3-3 avec Ertz au milieu, à un 5-4-1 avec Ertz en défense.
Cette stratégie était plus que flagrante face à la France en quart de finale (2-1). Les Etats-Unis ont joué très haut pendant les premières minutes de jeu, parvenant à prendre le dessus rapidement sur un coup de pied arrêté (coup franc marqué par Rapinoe). Ce sont ensuite les Bleues qui ont pu avoir la possession du ballon pendant la majeure partie de la seconde mi-temps, alors que les Stars and Stripes profitaient de contre-attaques pour se montrer dangereuses offensivement et aller aggraver la marque (comme sur le second but de Rapinoe). La solidité défensive des Etats-Unis face aux très nombreuses occasions des Bleues durant une bonne partie de la rencontre provenait des bonnes interventions de Julie Ertz qui venait couvrir les oublis de ses coéquipières. Ce fut le cas sur une action décisive de Diani, où l’attaquante parisienne est parvenue à tromper toute la défense des USA avant d’être rattrapée à la dernière minute par un excellent retour de Ertz.
La joueuse de Chicago apporte donc aujourd’hui, dans son rôle très spécial, ce qu’il manquait à l’équilibre du jeu des Etats-Unis. Lorsque dans une interview au début de la Coupe du monde, l’ancienne championne du monde américaine de 1999, Julie Foudy, lui a demandé ce qu’elle aimait à propos de son nouveau poste au milieu de terrain, Ertz a répondu avec humour : “J’aime être plus proche de l’attaque. En fait, j’aime être plus proche des buts des adversaires.” Tout simplement.